mercredi 8 août 2012

Du coté de Cambremer

La rue


La maison bleue

Alimentation générale



















Photographies argentiques contre collées sur aluminium 50cm x 50cm 600E





Du coté de Cambremer


    Ces photographies, parfaitement insolites, nous permettent de reconnaître plus ou moins un village appelé Cambremer, avec ses magasins, ses habitants, ses façades. Mais on perçoit en même temps un écart. On sent que ce n'est pas ça, qu'il s'est passé quelque chose d'étrange. Les photographies sont pourtant suspendues dans le lieu même qu'elles représentent, près de telle façade dont elles offrent l'image. Et justement, elles ne le représentent pas, n'en sont pas vraiment l'image. Elles sont en décalage. Exactement comme si l'artiste avait rêvé Cambremer, retrouvant quelques fragments de façades ou de visages bien réels, mais redisposés, retravaillés par le rêve qui recompose, nous plonge dans l'inquiétante étrangeté, déréalise, de sorte que la mémoire des lieux les associe à bien d'autres choses, à des sensations des événements, des personnes différentes, qui s'y relient et s'en détachent pour laisser parler l'imaginaire du rêveur, son histoire.

Il est passionnant d'écouter Isabelle nous raconter comment elle a rêvé de Cambremer, comme elle l'a photographié puis a constitué des maquettes à partir de ses photographies, puis rephotographié ces maquettes légèrement infidèles, retravaillées, recomposant un lieu qui n'existe plus vraiment mais devient une image autonome. Ensuite elle superpose, en palimpseste, les deux images et les rephotographie, si j'ai bien compris. Le résultat est ce jeu entre des plans qui n'ont pas la même consistance, l'un flou, l'autre net, nous donnant l'impression d'un réalisme parfait qui se dissout dans un arrière-plan inquiétant (ou l'inverse). Et le vide est souvent à la fois devant et derrière, nous ramenant à une petite bande intermédiaire, surface suspendue où tout se resserre et se passe : mais quoi ? On erre un peu, d'avant en arrière, cherchant où aller, à tâtons, revenant aux surfaces, à l'immanence. Nous perdons pied. Nos repères ne nous servent plus à rien. Cela flotte. C'est dans cet espace qu'Isabelle Maarek voyage et nous invite à nous risquer, dans un mouvement un peu vertigineux, qui donne l'impression du roulis à terre, comme d'une ivresse persistante, avec ce léger malaise d'autant plus incompréhensible qu'on croyait justement avoir les pieds sur terre.

C'est une magnifique interrogation sur le réalisme et la représentation, on pense aux villages de Flaubert, si étranges malgré la description pointilleuse, si loin-si près, venus de l'imaginaire d'un artiste.


Dominique Chancé, 13 août 2002